Amis,
compagnons, camarades et citoyens,
Les commémorations
en France ont souvent un parfum de naphtaline et d’embaumement
comme s’il s’agissait d’enterrer une seconde
fois ceux auxquels on rend hommage.
Nous
ne sommes pas réunis ici pour regarder vers le passé,
quelle que soit sa richesse mais pour faire vivre la laïcité,
pour répondre aux problèmes de l’avenir.
Et
c’est bien parce que la laïcité répond
aux problèmes de nos concitoyens, des femmes et des hommes à l’intérieur
et hors de nos frontières que nous sommes réunis
pour engager ce mouvement qui va monter en puissance dans le
pays.
Rappelons
d’abord que nous avons l’obligation de clarifier
les termes du débat dans un contexte de totale confusion
et parfois de faiblesse politique.
Comme
si les mots n’avaient plus de sens, étaient vidés
de leur substance et que chacun pouvait se les approprier pour
les détourner à son profit.
Rappelons
donc que la laïcité, c’est d’abord une
idée de l’homme, de l’homme et de la femme
libres, debout, maître de son destin, de sa pensée,
de sa sexualité, de ses convictions dans le respect de
celles des autres, maître de sa vie.
La
laïcité, c’est la liberté des libertés,
non pas une opinion parmi d’autres mais celle qui permet
l’expression de toutes. C’est, je l’ai dit,
l’homme libre mais en même temps l’homme égal
en droit. C’est la liberté et l’égalité rassemblées,
le principe fondateur de la citoyenneté, le noyau de la
République, fille de la Révolution Française
et des Lumières.
« Tous
les hommes et les femmes naissent et demeurent libres et égaux
en droit ».
Cette
sublime devise en forme de programme est loin d’avoir abouti.
Là est notre chantier.
Aussi,
affirmons le tout net, ce socle, ces valeurs, la liberté,
l’égalité, la fraternité et la laïcité ne
sont pas négociables. Avec personne.
Aucun
lobby.
Aucune
communauté.
Aucun
intérêt.
Aucune
transcendance.
L’homme
n’est la propriété de personne. Il n’est
pas enfermé par sa naissance, dans des origines, des dogmes.
La laïcité n’a d’autre projet que de
permettre à l’enfant puis à la femme et à l’homme
de devenir citoyen, maître de lui-même, de faire
valoir son droit imprescriptible à la liberté et à l’égalité des
droits.
S’engager
pour la laïcité constitue donc d’abord un choix
pour l’homme, pour une éthique de la liberté,
pour l’humanisme qui offrent du sens à la politique,
une politique trop souvent réduite à de petits
jeux de communication, à de petits mots médiatiques
aussi dérisoires que désespérants.
Mais
s’engager dans la défense de la laïcité,
c’est aussi dans le même temps répondre aux
défis concrets de notre temps.
C’est
faire vivre au quotidien des femmes et des hommes différents
aux origines de plus en plus souvent diverses. Différents
mais égaux ! Ensemble mais pas à côté !
Et encore moins les uns contre les autres ! Unis, solidaires,
pas en guerre !
Dans
la Cité et non pas dans des guettos ! Dans les mêmes écoles,
les mêmes hopitaux, les mêmes services, le même
droit au travail et au logement, à la promotion sociale
avec aussi l’égalité des devoirs ! Telle
est la déclinaison concrète de la laïcité et
le meilleur outil dont nous disposons pour combattre réellement
toutes les discriminations et tous les racismes.
C’est
sur ce terrain qu’ont surgi ces dernières années
les problèmes auxquels doivent faire face les enseignants,
les personnels hospitaliers, les animateurs des services publics
et municipaux et en premier lieu les élus locaux soumis
aux pressions des lobby.
Des élus
qui se sentent d’autant plus abandonnés face à des
choix difficiles, face à la menace et à la violence,
que la société semble avoir perdu ses repères
et que la représentation nationale préfère
se désaisir de dossiers dits « sensibles ».
-
Comment
pourraient-ils traiter à leur niveau des revendications
communautaristes relatives aux cimetières, aux
cantines scolaires, aux horaires d’accès des
services sportifs municipaux, aux exigences intégristes à l’hôpital….. ?
Le
brouillard s’est établi dans beaucoup de têtes.
Certains sont passés de la revendication du droit à la
différence à la différence des droits, ignorant
que cette idéologie vient de l’extrême droite.
Certains
confondent le communautarisme qui enferme l’individu dans la forteresse
des origines et l’universalisme qui élargit l’homme
vers l’humanité.
Quel
sort font-ils à l’égalité des droits ?
La
confusion est partout, quotidienne, banalisée. Nous avons le devoir
de rendre aux mots leur sens. Il est important de ne pas céder
aux exégètes de la mode, qui voudrait faire croire
que la liberté ce serait désormais le libéralisme,
l’égalité l’équité, la
fraternité la charité et la laïcité le
communautarisme.
La
confusion est dans les têtes, dans les mots. Elle est aussi politique.
Tout était plus facile lorsque la droite, pour faire simple, était
cléricale et la gauche laïque. La situation est plus
complexe aujourd’hui.
Qui
en décembre, au moment du Centenaire de la loi de séparation
de l’Eglise et de l’Etat parlera au nom de la République ?
-
Le
Ministre de l’Intérieur et des Cultes qui réaffirme à toutes
occasions sa volonté de modifier la loi de 1905 et
d’engager le pays sur la voie du modèle américain,
libéral et communautariste. Cette société où les
lobby religieux obligent dans les écoles publiques
de nombreux Etats à enseigner sur le même plan,
créationnisme et évolutionnisme ?
-
Ou
bien le Président de la République qui, il
faut le rappeler et même si ce fut insuffisant pour
nombre d’entre nous, s’est impliqué pour
que le préambule de la Constitution Européenne
ne fasse pas référence à des valeurs
religieuses spécifiques qui auraient exclu nombre
de citoyens européens ?
Le
Président qui a voulu la législation sur les signes
religieux à l’école, thèse que le
comité Laïcité et République a défendu
devant la commission STASI et qui a permis d’adresser un
signe fort au pays. Et même si la totalité des élus
socialistes a voté ce texte, j’aurai pour ma part
apprécié que la décision de légiférer
soit prise plus tôt par un gouvernement de gauche.
-
Comment
ne pas regretter également qu’au moment de la
première affaire du voile, à CREIL, le gouvernement
de l’époque, plutôt que de faire appliquer
les lois laïques a préféré « botter
en touche » en transférant le dossier au
Conseil d’Etat. ?
Confusion
installée dans les têtes de responsables politiques
qui refusent d’intégrer les leçons des scrutins
de 2002 & 2005 comme si ces votes n’avaient jamais
existé.
« Le
peuple s’est trompé ». « On
a trompé le peuple », laissent-ils entendre.
Mais on ne peut pas dissoudre le peuple !
La
fracture laïque pourrait bien s’ajouter dans le pays à la
fracture sociale et constituer un enjeu central des prochaines
grandes échéances politiques nationales.
Le
contexte est inquiétant mais il existe des raisons d’espérer :
-
La
traversée du désert que les militants laïques
ont parcouru ces dernières années, débouchent
sur un espace de possible changement. Les choses bougent
et le pays témoigne, sondages à l’appui,
qu’il redécouvre la force et l’intérêt
des lois laïques face au péril des communautarismes.
Dans les associations, les syndicats,
les partis de plus en plus de femmes et d’hommes réclament
le respect des lois laïques. Nous devons être à leur écoute,
les soutenir et les accueillir sans réserve dans notre
combat commun, quel que soit leur cheminement.
Ce
réveil nous touche plus particulièrement lorsqu’il
gagne une gauche à tout le moins fébrile ces
dernières années sur
cette question et que nous constatons un frémissement
laïc.
Une
dizaine de candidatures se sont ainsi déclarées pour l’élection
présidentielle dans le parti majoritaire de la gauche.
Mais ils ne sont pas cinq, pas quatre, pas trois, pas même
deux à oser porter clairement les valeurs et les objectifs
de la laïcité. Au moins, y en a t’il un – il
n’est pas besoin de le nommer, tout le monde saura à qui
je pense - qui s’est engagé en faveur de la laïcité à l’occasion
du Congrès de son parti, en faveur de la loi sur les signes
religieux à l’école et enfin sur le projet
de constitution européenne dont l’adoption aurait
ouvert la voie au contournement de la loi de 1905 et donc à la
remise en cause de la laïcité. Ce n’est pas
rien ! Oui, le peuple a de la mémoire – Et
nous aussi !
C’est
une raison d’espérer, de construire, d’élargir
car nous ne voulons pas croire que la gauche pourrait choisir
pour la représenter à l’élection Présidentielle
un candidat qui ne se serait pas clairement engagé sur
ces sujets sauf à ne pas comprendre qu’en politique
comme dans les sciences exactes, les mêmes causes produisent
les mêmes effets.
On
le voit, la commémoration de la loi 1905 n’est pas
tournée vers le passé. Elle est projet pour l’avenir
d’un message d’égalité, de liberté et
de fraternité en particulier à la jeunesse, en
France mais aussi en Europe et pour le Monde.
Elle
ouvre la perspective d’une République offensive dans une
Europe de la citoyenneté sociale et laïque. Elle
ouvre la réflexion pour des Nations-Unies à l’écoute
des peuples, notamment ceux du Tiers et du Quart monde, le plus
souvent en première ligne face à la montée
des intégrismes, dont il ne faut jamais oublier que les
femmes sont systématiquement les premières victimes.
La
laïcité, c’est l’avenir. C’est
l’universalisme. C’est l’occasion pour notre
République de reprendre dans le concert des Nations la
place d’avant garde des Lumières, d’émancipatrice
du genre humain. Cette France aimée par les peuples en
lutte pour leur dignité.
C’est
tout cela qui est en jeu autour de la laïcité, qui
n’est pas un sujet de politique franco-français – baguette,
béret et Côtes du Rhône – mais qui prend
toute sa place hors de nos frontières dans le cheminement
inlassable de l’humanité vers son émancipation.
Soyons fiers de ce
que nous sommes, convaincus de ce que nous portons d’espoir,
rassemblons nos forces et élargissons-nous pour que la manifestation
du 10 décembre soit une réussite.
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