RENFORCER LA LOI DE 1905
Nos n'avons pas particulièrement le goût, au Mouvement
Europe et Laïcité, des célébrations ritualisées
des grandes heures passées, mais nous nous sommes spontanément
placés au premier rang de ceux qui ont tenu à participer
aux solennités militantes, républicaines et laïques, à l'occasion
du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de
l'État.
Génératrice de cette idée neuve et progressiste
qu'est la Laïcité, cette loi républicaine et
française, mérite mieux qu'un cours d'histoire et
qu'une simple évocation événementielle à la
gloire des grands ancêtres. Nous sommes de ceux qui ont toujours
pensé que la Laïcité n'est pas un rétroviseur
dans lequel on revit le passé.
La Laïcité, en tant qu'éthique et en tant que
statut juridique, c'est pour nous un phare qui éclaire l'avenir.
Ses valeurs constitutives, nous les connaissons tous, mais il est
en ce jour, opportun d'en rappeler l'essentiel. Idéal de
liberté individuelle et collective, (liberté de croire
ou de ne pas croire), d'indépendance et d'émancipation à l'égard
des forces dominantes, attachement à la raison et au libre
examen, refus de tous les dogmatismes aussi bien religieux que
politiques ou économiques, mouvement collectif de solidarité et
de progrès, la Laïcité s'est vite forgé une
conscience idéologique et des modalités juridiques
de mise en pratique.
Sur sa route, elle a toujours rencontré des adversaires
obstinés : les cléricalismes, les dogmatismes
et tous les despotismes culturels, sociaux et politiques. Aujourd'hui,
c'est surtout l'exceptionnelle vitalité de l'éthique
laïque qui mérite d'être soulignée, en
privilégiant non pas seulement le souvenir des luttes passées,
mais aussi et surtout les perspectives et les potentialités
qui sont les siennes.
La volupté de rappeler les innombrables malfaisances des
cléricalismes et des dogmatismes ne saurait nous détacher
de l'essentiel : défendre, renforcer et promouvoir
la Laïcité ici, maintenant, demain et partout. C'est
dans cet esprit et avec cette perspective sans cesse réimpulsée
que nous célébrons le souvenir de cette considérable
victoire progressiste que fut le vote, en France, de la loi de
séparation des Eglises et de l'Etat, le 10 Décembre
1905. Cette commémoration hautement républicaine
sera un moment fort de la nécessaire réactivation
civique de l'opinion publique.
La Loi de 1905, c'est un monument législatif, héritage
d'un passé républicain et démocratique qui
demeure à la fois une référence idéologique,
une protection civique et un horizon progressiste.
Sans entrer dans le détail des polémiques stériles
qu'ont suscitées les affidés de l' antilaïcité toujours
prompte à se réveiller, saisissons ce moment pour
redire haut et fort que pour nous, le concept de Laïcité n'a
nul besoin d'être adjectivé, qu'il se suffit authentiquement à lui-même
par son contenu éthique, et que nous nous opposerons toujours à ce
qu'on le dénature par des qualifications empreintes d'arrière-pensées
politiciennes sordides.
De multiples commémorations sont aujourd'hui en cours,
qui brassent la philosophie, la sociologie et l'historicité événementielle :
de ces évocations culturelles, il ressort parfois des perspectives
ambiguës. Les dérives nées de certaines études
se voulant savantes, et dont certains exégètes raffolent,
débouchent souvent sur des propositions plus qu'équivoques.
Exprimées clairement, elles reviennent à dire :
La laïcité, c'est une noble idée, à condition
qu'elle s'ouvre sur tous les accommodements et les assouplissements
de mise en pratique dont le véritable objectif est d'en
neutraliser les effets et les concrétisations.
La liste serait trop longue des pseudo-philosophes, des politiciens,
des apparatchiks associatifs qui ne cessent de nuire à l'idéal
laïque en prétendant en célébrer les
vertus. Ils ne ratent pas de rappeler avec insistance :
D'ailleurs la loi de 1905 est un texte de compromis qui ouvre
de larges possibilités de transactions, de dérogations
(voire de transgressions).
Et il est vrai que, passés les deux premiers paragraphes
de la loi, clairs et fondamentaux au niveau des principes, certaines
dispositions surprenantes ou ambiguës peuvent inciter à concevoir
des modalités de mise en pratique sectorielles, qui vont
parfois jusqu'à remettre en cause le principe initial (légalisation
des aumôneries dans les établissements publics d'enseignement
par exemple)
A ces dispositions contestables, il convient d'ajouter le scandale
des statuts particuliers régionaux qui, en Alsace-Moselle
et dans certains départements et territoires d'outre-mer,
nient les implications des lois sur la Laïcité.
Certaines de ces dispositions sont inégalement connues,
même de la part des laïques convaincus qui n'en soupçonnent
pas l'existence ou se résignent, hélas, à leur
nocivité.
Chacun par contre connaît l'essentiel des 2 premiers articles
de la Loi de 1905 dont nous considérons que l'essentiel
se trouve affirmé :
Article 1 : La République
assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre
exercice des cultes sous les seules restrictions édictées
dans l'intérêt de l'ordre public
Article 2 : La République
ne reconnaît, ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne
aucun culte. En conséquence, à partir du 1 er janvier
qui suivra la promulgation de la présente loi, seront
supprimées des budgets de l'Etat, des départements
et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice
des cultes.
Ces deux extraits de la Loi sont bien connus. Par contre, on oublie
trop souvent certaines dispositions subsidiaires qui semblent atténuer
la portée du début et ouvrir la porte à des
dérogations idéologiques.
Sans entrer dans le détail, disons simplement, par exemple,
que l'acceptation de services d'aumônerie dans certains établissements
scolaires n'avait été autorisée qu'en raison
de l'impossibilité pour certains pensionnaires d'établissement
publics fermés de se rendre de façon autonome sur
les lieux de culte extérieurs à l'établissement.
Sur le plan scolaire, ce n'est plus couramment le cas, d'où nécessité de
revoir la formulation de la 2 ème partie de l'article 2.
Ces dispositions matérielles prouvent que la loi de 1905
est un texte de compromis, ainsi voulu par ses promoteurs réformistes
et tolérants du début du 20 ème siècle.
La loi de 1905 acceptée aujourd'hui du bout des lèvres
par les cléricaux de toutes obédiences, fournit cependant à ses
adversaires frustrés, certaines voies de reconquête
et de revanche : il suffit pour cela d'une classe politique
désidéologisée et prête aux reniements
qu'elle croit électoralement payants. Ce qui est actuellement
le cas.
Il convient donc d'être extrêmement lucide et vigilant,
en matière de référence à la loi de
1905. Célébrer la loi de 1905, c'est vouloir la rendre
plus conforme à ses propres principes. A cet égard,
notre fermeté et nos exigences sont multiples :
1 � Maintien des 2 principes de séparation stricte proclamés
dans les dispositions initiales des 2 premiers articles, dont le
contenu ne doit pas être atténué par des dérogations
injustifiées.
2 � Certaines dispositions subsidiaires de notre loi de séparation
méritent d'être réadaptés en pleine
cohérence avec ce qui les précède. Il existe
chez nous des dangers accrus de reconfessionnalisation et de communautarisation
de notre société qui est rongée par les cléricalismes
résurgents, par les intégrismes déstabilisateurs,
et par l'apparition de certaines pratiques religieuses ou sectaires
génératrices de troubles et de conflits.
Ces risques exigent que la loi de 1905 soit renforcée et
qu'elle prenne clairement position contre l'acceptation de telles
dérives dans le cadre de la sphère publique.
3 � Des prescriptions sans ambiguïté doivent clarifier,
dans le sens d'une totale neutralité, les comportements
des fonctionnaires et des élus de la république dans
l'exercice de leurs fonctions. Le pluralisme confessionnel et philosophique
de notre société exige que les cérémonies
officielles soient exemptes de tout caractère religieux,
inévitablement ségrégatifs et que les représentants
de la puissance publique ne s'associent jamais, ès qualité, à des
manifestations présentant un caractère religieux
qui serait officialisé par leur participation.
4 � Par ailleurs, le contenu renforcé des prescriptions
de la loi de 1905 doit être respecté dans tout le
territoire de la République, constitutionnellement «une
et indivisible». D'où suppression des statuts dérogatoires
tels qu'ils subsistent en Alsace-Moselle , et dans divers territoires
d'outre-mer. Ces réalités illégales et anticonstitutionnelles
sont, chacun le sait bien, le résultat inacceptable de comportements
politiques anciens empreints d'incohérence et de laxisme.
Dans le contexte d'européisation des réalités
sociopolitiques contemporaines, notre vigilance laïque doit
se renforcer. Disons-le fermement : Notre légalité républicaine
ne doit pas être délaïcisée sous prétexte
d'harmonisation européenne.
Au contraire, il est et reste de la vocation prioritaire de nos
organisations militantes d'�uvrer à la promotion des valeurs
et principes laïques dans le cadre de l'édification
européenne. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine,
et cela pour plusieurs raisons :
- La première tient au fait que la notion de laïcité n'est
pas universellement connue. Considérés séparément,
ses principes constitutifs ne sont généralement pas
récusés au sein des opinions publiques européennes.
Mais leur globalisation philosophique dans un concept civique,
aux modalités de mise en pratique clairement définies
par la loi, n'existe pas normativement hors de France.
- Par ailleurs, force est de constater objectivement qu'actuellement,
de nombreux états et de multiples sociétés
européennes sont culturellement dans des situations parfois
peu propices, actuellement, à une laïcisation aussi
affirmée qu'elle l'est la France.
Mais, même là où n'existe pas de loi nationale
instituant une Laïcité officiellement organisée,
la LAÏCISATION des esprits, des mentalités et même
parfois de certaines dispositions juridiques, se développe
en de nombreux états et au sein d'opinions publiques en
pleine mutation culturelle, voire idéologique, comme c'est
par exemple le cas au Portugal, en Espagne, aux Pays-Bas, en Slovénie
et dans certains Länder d'Allemagne fédérale,
ainsi qu'au sein de certains états scandinaves.
Certes, notre loi de 1905 sur la séparation des Eglises
et de l'Etat confère à la République française
un caractère assez minoritaire au sein de l'Union européenne.
C'est pour toutes ces raisons que le Mouvement EUROPE et LAÏCITÉ,
depuis 50 années, milite pour que l'Europe se construise
sur des bases authentiquement laïques.
Et c'est pour ces raisons et dans ces perspectives, qu'après étude
approfondie du texte de constitution européenne qui nous
a été proposé par voie référendaire,
nous avons exprimé notre refus du traité constitutionnel
le 29 Mai 2005.
Il convient maintenant de faire les propositions conformes à la
démocratie laïque que nous voulons pour organiser la
coopération européenne.
Pour ce faire, nous ne dirons jamais assez combien il est essentiel
que les organisations laïques attachées aux idées
fondamentales de notre loi de 1905, coopèrent activement,
et qu'elles proposent aux opinions publiques françaises
et européennes les principes et les modalités d'une
vie civique commune fondée sur la démocratie et la
Laïcité. |