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Meeting du 1er Octobre 2005 - Mutualité - Paris : Intervention d'Étienne PION, président du Mouvement Europe et Laïcité sommaire

RENFORCER LA LOI DE 1905

Nos n'avons pas particulièrement le goût, au Mouvement Europe et Laïcité, des célébrations ritualisées des grandes heures passées, mais nous nous sommes spontanément placés au premier rang de ceux qui ont tenu à participer aux solennités militantes, républicaines et laïques, à l'occasion du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l'État.

Génératrice de cette idée neuve et progressiste qu'est la Laïcité, cette loi républicaine et française, mérite mieux qu'un cours d'histoire et qu'une simple évocation événementielle à la gloire des grands ancêtres. Nous sommes de ceux qui ont toujours pensé que la Laïcité n'est pas un rétroviseur dans lequel on revit le passé.

La Laïcité, en tant qu'éthique et en tant que statut juridique, c'est pour nous un phare qui éclaire l'avenir. Ses valeurs constitutives, nous les connaissons tous, mais il est en ce jour, opportun d'en rappeler l'essentiel. Idéal de liberté individuelle et collective, (liberté de croire ou de ne pas croire), d'indépendance et d'émancipation à l'égard des forces dominantes, attachement à la raison et au libre examen, refus de tous les dogmatismes aussi bien religieux que politiques ou économiques, mouvement collectif de solidarité et de progrès, la Laïcité s'est vite forgé une conscience idéologique et des modalités juridiques de mise en pratique.

Sur sa route, elle a toujours rencontré des adversaires obstinés : les cléricalismes, les dogmatismes et tous les despotismes culturels, sociaux et politiques. Aujourd'hui, c'est surtout l'exceptionnelle vitalité de l'éthique laïque qui mérite d'être soulignée, en privilégiant non pas seulement le souvenir des luttes passées, mais aussi et surtout les perspectives et les potentialités qui sont les siennes.

La volupté de rappeler les innombrables malfaisances des cléricalismes et des dogmatismes ne saurait nous détacher de l'essentiel : défendre, renforcer et promouvoir la Laïcité ici, maintenant, demain et partout. C'est dans cet esprit et avec cette perspective sans cesse réimpulsée que nous célébrons le souvenir de cette considérable victoire progressiste que fut le vote, en France, de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, le 10 Décembre 1905. Cette commémoration hautement républicaine sera un moment fort de la nécessaire réactivation civique de l'opinion publique.

La Loi de 1905, c'est un monument législatif, héritage d'un passé républicain et démocratique qui demeure à la fois une référence idéologique, une protection civique et un horizon progressiste.

Sans entrer dans le détail des polémiques stériles qu'ont suscitées les affidés de l' antilaïcité toujours prompte à se réveiller, saisissons ce moment pour redire haut et fort que pour nous, le concept de Laïcité n'a nul besoin d'être adjectivé, qu'il se suffit authentiquement à lui-même par son contenu éthique, et que nous nous opposerons toujours à ce qu'on le dénature par des qualifications empreintes d'arrière-pensées politiciennes sordides.

De multiples commémorations sont aujourd'hui en cours, qui brassent la philosophie, la sociologie et l'historicité événementielle : de ces évocations culturelles, il ressort parfois des perspectives ambiguës. Les dérives nées de certaines études se voulant savantes, et dont certains exégètes raffolent, débouchent souvent sur des propositions plus qu'équivoques. Exprimées clairement, elles reviennent à dire :

La laïcité, c'est une noble idée, à condition qu'elle s'ouvre sur tous les accommodements et les assouplissements de mise en pratique dont le véritable objectif est d'en neutraliser les effets et les concrétisations.

La liste serait trop longue des pseudo-philosophes, des politiciens, des apparatchiks associatifs qui ne cessent de nuire à l'idéal laïque en prétendant en célébrer les vertus. Ils ne ratent pas de rappeler avec insistance :

D'ailleurs la loi de 1905 est un texte de compromis qui ouvre de larges possibilités de transactions, de dérogations (voire de transgressions).

Et il est vrai que, passés les deux premiers paragraphes de la loi, clairs et fondamentaux au niveau des principes, certaines dispositions surprenantes ou ambiguës peuvent inciter à concevoir des modalités de mise en pratique sectorielles, qui vont parfois jusqu'à remettre en cause le principe initial (légalisation des aumôneries dans les établissements publics d'enseignement par exemple)

A ces dispositions contestables, il convient d'ajouter le scandale des statuts particuliers régionaux qui, en Alsace-Moselle et dans certains départements et territoires d'outre-mer, nient les implications des lois sur la Laïcité.

Certaines de ces dispositions sont inégalement connues, même de la part des laïques convaincus qui n'en soupçonnent pas l'existence ou se résignent, hélas, à leur nocivité.

Chacun par contre connaît l'essentiel des 2 premiers articles de la Loi de 1905 dont nous considérons que l'essentiel se trouve affirmé :

Article 1  : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public

Article 2 : La République ne reconnaît, ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1 er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes.

Ces deux extraits de la Loi sont bien connus. Par contre, on oublie trop souvent certaines dispositions subsidiaires qui semblent atténuer la portée du début et ouvrir la porte à des dérogations idéologiques.

Sans entrer dans le détail, disons simplement, par exemple, que l'acceptation de services d'aumônerie dans certains établissements scolaires n'avait été autorisée qu'en raison de l'impossibilité pour certains pensionnaires d'établissement publics fermés de se rendre de façon autonome sur les lieux de culte extérieurs à l'établissement.

Sur le plan scolaire, ce n'est plus couramment le cas, d'où nécessité de revoir la formulation de la 2 ème partie de l'article 2.

Ces dispositions matérielles prouvent que la loi de 1905 est un texte de compromis, ainsi voulu par ses promoteurs réformistes et tolérants du début du 20 ème siècle. La loi de 1905 acceptée aujourd'hui du bout des lèvres par les cléricaux de toutes obédiences, fournit cependant à ses adversaires frustrés, certaines voies de reconquête et de revanche : il suffit pour cela d'une classe politique désidéologisée et prête aux reniements qu'elle croit électoralement payants. Ce qui est actuellement le cas.

Il convient donc d'être extrêmement lucide et vigilant, en matière de référence à la loi de 1905. Célébrer la loi de 1905, c'est vouloir la rendre plus conforme à ses propres principes. A cet égard, notre fermeté et nos exigences sont multiples :

1 � Maintien des 2 principes de séparation stricte proclamés dans les dispositions initiales des 2 premiers articles, dont le contenu ne doit pas être atténué par des dérogations injustifiées.

2 � Certaines dispositions subsidiaires de notre loi de séparation méritent d'être réadaptés en pleine cohérence avec ce qui les précède. Il existe chez nous des dangers accrus de reconfessionnalisation et de communautarisation de notre société qui est rongée par les cléricalismes résurgents, par les intégrismes déstabilisateurs, et par l'apparition de certaines pratiques religieuses ou sectaires génératrices de troubles et de conflits.

Ces risques exigent que la loi de 1905 soit renforcée et qu'elle prenne clairement position contre l'acceptation de telles dérives dans le cadre de la sphère publique.

3 � Des prescriptions sans ambiguïté doivent clarifier, dans le sens d'une totale neutralité, les comportements des fonctionnaires et des élus de la république dans l'exercice de leurs fonctions. Le pluralisme confessionnel et philosophique de notre société exige que les cérémonies officielles soient exemptes de tout caractère religieux, inévitablement ségrégatifs et que les représentants de la puissance publique ne s'associent jamais, ès qualité, à des manifestations présentant un caractère religieux qui serait officialisé par leur participation.

4 � Par ailleurs, le contenu renforcé des prescriptions de la loi de 1905 doit être respecté dans tout le territoire de la République, constitutionnellement «une et indivisible». D'où suppression des statuts dérogatoires tels qu'ils subsistent en Alsace-Moselle , et dans divers territoires d'outre-mer. Ces réalités illégales et anticonstitutionnelles sont, chacun le sait bien, le résultat inacceptable de comportements politiques anciens empreints d'incohérence et de laxisme.

Dans le contexte d'européisation des réalités sociopolitiques contemporaines, notre vigilance laïque doit se renforcer. Disons-le fermement : Notre légalité républicaine ne doit pas être délaïcisée sous prétexte d'harmonisation européenne.

Au contraire, il est et reste de la vocation prioritaire de nos organisations militantes d'�uvrer à la promotion des valeurs et principes laïques dans le cadre de l'édification européenne. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine, et cela pour plusieurs raisons :

- La première tient au fait que la notion de laïcité n'est pas universellement connue. Considérés séparément, ses principes constitutifs ne sont généralement pas récusés au sein des opinions publiques européennes. Mais leur globalisation philosophique dans un concept civique, aux modalités de mise en pratique clairement définies par la loi, n'existe pas normativement hors de France.

- Par ailleurs, force est de constater objectivement qu'actuellement, de nombreux états et de multiples sociétés européennes sont culturellement dans des situations parfois peu propices, actuellement, à une laïcisation aussi affirmée qu'elle l'est la France.

Mais, même là où n'existe pas de loi nationale instituant une Laïcité officiellement organisée, la LAÏCISATION des esprits, des mentalités et même parfois de certaines dispositions juridiques, se développe en de nombreux états et au sein d'opinions publiques en pleine mutation culturelle, voire idéologique, comme c'est par exemple le cas au Portugal, en Espagne, aux Pays-Bas, en Slovénie et dans certains Länder d'Allemagne fédérale, ainsi qu'au sein de certains états scandinaves.

Certes, notre loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat confère à la République française un caractère assez minoritaire au sein de l'Union européenne.

C'est pour toutes ces raisons que le Mouvement EUROPE et LAÏCITÉ, depuis 50 années, milite pour que l'Europe se construise sur des bases authentiquement laïques.

Et c'est pour ces raisons et dans ces perspectives, qu'après étude approfondie du texte de constitution européenne qui nous a été proposé par voie référendaire, nous avons exprimé notre refus du traité constitutionnel le 29 Mai 2005.

Il convient maintenant de faire les propositions conformes à la démocratie laïque que nous voulons pour organiser la coopération européenne.

Pour ce faire, nous ne dirons jamais assez combien il est essentiel que les organisations laïques attachées aux idées fondamentales de notre loi de 1905, coopèrent activement, et qu'elles proposent aux opinions publiques françaises et européennes les principes et les modalités d'une vie civique commune fondée sur la démocratie et la Laïcité.