Bonjour,
C'est Christian Eyschen,
Secrétaire général
de la Libre Pensée qui vous parle.
Notre sujet de cette matinée sera la manifestation du 11 décembre
1999, de la Nation à la République, contre la signature et la
ratification de la Charte européenne des langues régionales et
minoritaires.
Nous accueillons aujourd'hui avec plaisir, trois responsables d'associations
qui se joignent à la Libre Pensée pour appeler à notre
manifestation :
- Victoria Thérame, Vice-Présidente de l'Union des Athées
- Jacques Faure, Vice-Président d'Europe et Laïcité (anciennement
CAEDEL)
- Claude Caudal, Vice-Président du Comité Laïcité République
Victoria,
peux-tu nous dire pourquoi ton association appelle à cette
manifestation ?
V. Thérame :
L'Union des Athées s'associe
aux autres organisations laïques pour la manifestation du
11 décembre sur les bases suivantes : les athées
dénoncent les complaisances manifestées actuellement
au profit des mythes d'origines, des traditions de toute sorte,
plus ou moins archaïques ou folkloriques, potentiellement
dangereuses, grosses de divisions et de guerres civiles artificielles.
La Constitution de régions ou de départements ethniques,
comme les deux Corses, ou la revendication d'un département
basque au sein d'une Europe des régions ne ferait qu'actualiser
la doctrine « Cujus region, ejus religio » qui date
de plusieurs siècles, c'est-à-dire « à chacun
sa religion selon sa région » en « à chacun
sa culture selon sa région ». Les Eglises souhaitent
ce charcutage qui leur rendrait du pouvoir sur le peuple de France
ainsi parcellisé. A chacun son clocher, son parlé,
son curé.
La publication dans le Journal Officiel des lois et règlements en plusieurs
langues (13 ou 14 sur le territoire) nous semblerait une régression.
Autrement dit, faudra-t-il parler 13 ou 14 langues ? C'est parce que les athées
sont attachés à la liberté d'expression la plus large,
qu'ils refusent la perspective de ghettos linguistiques et d'une mosaïque
d'expressions. Devrons-nous parler auvergnat, provençal, basque, breton
etc. et forcément anglais pour communiquer avec l'Europe en oubliant
le français ? Que deviendraient les journaux nationaux, la radio, la
télévision et la littérature française ? Imagine-t-on
l'absurdité d'un enfant qui ne parlerait que provençal par exemple,
ou alors provençal et anglais ? Adieu le français et pourquoi
pas adieu la France au bout du compte ? Est-ce cela que souhaitent les partisans
des langues régionales ? En France et dans le monde, le français
a été la langue raisonnable qui a fait sauter la tenaille constituée
d'un côté par le latin et l'arabe cléricaux et de l'autre
par les dialectes désunis.
L'Union des Athées est attachée à l'unicité et
l'indivisibilité de la République française, les athées
proclament la nécessité d'échapper aux particularismes
qui aliènent les esprits et à la culture des différences
qui opposent les êtres humains.
C. Eyschen :
Merci Victoria de cette précision
et des raisons de l'Union des Athées pour rejoindre la Libre
Pensée dans cette manifestation.
Jacques Faure, pourquoi le Mouvement Europe et Laïcité,
anciennement appelé CAEDEL, s'associe à cette manifestation
?
J. Faure :
Nous nous associons pour exprimer nos réticences
sur cette charte et plus particulièrement sur un article
qui contient une disposition qui nous semble dangereuse, permettant
de fait la constitution de régions pluri-nationales à partir
de l'usage d'une langue minoritaire. Nous ne récusons pas
les cultures régionales, ni la valeur culturelle des langues
régionales, celles-ci sont témoins d'un passé qu'il
ne faut pas oublier, elles sont parties constituantes d'un héritage
irremplaçable, mais notre langue nationale elle-même
n'est elle pas un produit du passé, formé d'alluvions
linguistiques de multiples origines, elle est elle-même une
langue régionale et minoritaire à l'échelle
du monde. Mais l'histoire en a fait, au dessus de tous les parlés,
cette autre langue, celle qui a pu intégrer tous les « vouloir
vivre ensemble » qui fondent les nations. Depuis des siècles
cohabitent sur notre sol des langues, des patois, des idiomes,
créoles, langues d'oc, langue d'oïl. Le français
est la langue véhiculaire qui permit d'échapper au
babélysme, générateur de confusion de langage,
d'intelligence qui menaçait la nation nouvelle que réalisait
la Révolution française.
L'unité des nations a certes d'autres ciments que la langue commune,
mais l'usage d'une langue officielle nationale reconnue a d'indiscutables effets
positifs de solidarisme, de cohésion sociale de compréhension.
Donc nous craignons les fractionnements linguistiques, amorces de scissions
ethniques : par exemple la Belgique.
Cette crainte, c'est la raison de « notre vigilance républicaine »,
afin de ne pas laisser bouleverser le « modus vivendi » basé sur
la laïcité qui implique la tolérance mutuelle des individus,
des nations, de peuples, laïcité qui assure la liberté d'être,
l'épanouissement dans la paix, la liberté de conscience mais
aussi la liberté d'expression, la liberté de communication. Alors
nous disons que faire vivre ou revivre les langues régionales d'accord,
mais que ne soit pas remis en cause l'enseignement du français qui seul
peut former des citoyens
C. Eyschen : Merci Jacques.
Claude, nous avons déjà eu le plaisir de recevoir Patrick
Kessel il y a quelques mois à cette émission,
pourquoi le Comité Laïcité République s'associe
depuis le début à la manifestation de la Libre
Pensée contre cette charte européenne et quel danger
y voyez-vous ?
C. Caudal :
Le Comité Laïcité République
en s'associant à cette manifestation se place dans la continuité de
sa création. En effet, le CLR a été créé il
y a une douzaine d'années, au moment où la laïcité semblait
considérée par un certain nombre de penseurs, de
forces politiques, syndicales, comme un peu dépassée.
C'était l'enjeu de ce que l'on a appelé « laïcité ouverte » et
nous avions à l'époque essayé de montrer que
la laïcité n'est ni ouverte ni fermée. Elle
est forcément ouverte et fraternelle par principe mais elle
doit contenir une certaine rigueur et c'est pour défendre
ces conceptions que le CLP s'est constitué.
Aujourd'hui, si l'on considère que la mission de la laïcité est
le fondement de notre tissu social républicain, si l'on considère
que son but est double, c'est-à-dire assurer la cohésion de la
vie citoyenne dans l'espace public tout en respectant les libertés individuelles
dans l'espace privé.
Au regard de cette conception, la charte la met en cause. Elle la met en cause
par cette distinction, en introduisant dans l'espace public la notion de groupe,
la reconnaissance du communautarisme, elle met donc en danger la conception
de la République. Mais c'est aussi la mise en place de l'Europe, un
pas nouveau sur la mise en place de l'Europe des régions et la suppression
de l'Etat nation.
C'est aussi, en ce qui nous concerne, au delà de la reconnaissance des
communautarismes, la menace de l'universalisme du service public. Déjà dans
certaines régions on met en avant pour recruter, le fait de parler telle
langue Pour telle aide publique on peut mettre en avant l'appartenance à telle
ou telle communauté ethnique, linguistique ou religieuse. De ce point
de vue, la ratification de cette charte met en cause cette conception de la
laïcité qui nous vient de la Révolution française
et cette notion très importante de distinction entre l'espace public
et l'espace privé. L'espace privé est l'espace où se développe
tous les particularismes, par contre l'espace public c'est le lieu où l'on
travail pour le bien commun, où on ne reconnaît pas les groupes
mais on ne reconnaît que les citoyens, et dans ce sens la ratification
de la charte c'est la mise à bas d'une construction qui a mis plusieurs
siècles à se mettre en place.
C. Eyschen : Merci Claude.
Je pense qu'il faut maintenant expliquer pourquoi la Libre Pensée
a pris l'initiative de cette manifestation.
Nous avons
contactés un certain nombre d'associations et
des centaines de personnalités (nous en sommes aujourd'hui à 240
personnalités et associations qui appellent à cette
manifestation) de toute nature, d'ordre philosophique, laïque,
humaniste, rationaliste, syndicale voir politique, députés,
sénateurs, maires, élus locaux qui se sont associé à cette
manifestation parce que toutes ces personnes voient dans la charte
un grand danger.
Bien évidemment il ne s'agit pas de contester l'existence, l'enseignement,
la diffusion, la propagation et la préservation des langues régionales,
des idiomes ou des patois Pour nous cela fait partie du patrimoine de l'humanité et
doit être préservé et défendu. Le problème
de la charte européenne, qui a été proposée en
1992 par le Conseil de l'Europe, c'est le rattachement de la diffusion et de
l'enseignement des langues régionales et minoritaires à l'espace
d'un territoire. C'est-à-dire que l'on pourra, si cette charte est ratifiée
par le Parlement après avoir été signée le 7 mai
par le gouvernement, apprendre le breton en Bretagne, mais nulle part ailleurs.
Or la première ville où il y a le plus grand nombre de bretons,
c'est Paris, mais là il n'est pas question d'enseigner, d'apprendre
ou de cultiver le breton. On enferme les langues dans un territoire d'expression
c'est-à-dire que l'on ressuscite les anciennes provinces. On s'aperçoit, à travers
l'exemple tragique de l'ex-Yougoslavie, que lorsque l'on enferme les gens dans
des territoires, dans des croyances, dans des communautés cela ne peut être
que source de conflit.
Je siège
actuellement, puisque la Libre Pensée
vient d'adhérer à l'Union Internationale Humaniste
et Laïque (IHEU), à la conférence générale
de l'UNESCO, et j'ai entendu avec un peu d'étonnement le
Directeur général sortant, Frédérico
Mayor, dont tout le monde connaît les relations avec l'Eglise
catholique, indiquer dans son discours d'introduction que « le
moule des Etats-nations est aujourd'hui cassé , que le nouvel
horizon de l'être humain c'est le cyber espace et conclure
en disant que le monde à besoin des églises et des
ONG".
Dans sa réponse qui complétait son rapport et le débat
de politique générale sur cette question « Est-ce que le
moule des états-nations est cassé ? », F. Mayor a indiqué que
l'UNESCO avait recensé 685 langues parlées dans le monde et que
son rôle, comme complément de l'ONU, était le développement
de l'enseignement et la diffusion de ces langues.
Nous n'allons donc pas vers la compréhension commune des citoyens du
monde, mais au contraire vers leur enferment communautaire et linguistique.
Et F. Mayor a d'ailleurs bien précisé que « la mondialisation
n'est pas l'abolition des différences mais la mise en oeuvre de leur
interaction. Il ne faut surtout pas harmoniser ». On va enfermer les
gens dans des communautés, des langues, pour mieux les diviser et pour
que quelques uns, au niveau des super puissances, puissent « tirer les
marrons du feu ».
C'est pourquoi
nous ne pouvons pas accepter cette revendication du Conseil de
l'Europe, ces politiques internationales menées
par des grandes instances, qui visent non pas à unifier les
peuples et les nations, mais au contraire à démanteler
les Etats-nations, à créer des communautés sur
la base de territoires, qui sont inévitablement sources de
conflits.
En effet, ce n'est pas l'enseignement des langues régionales dont il
est question dans la charte européenne, c'est l'enseignement en langue
régionale. C'est-à-dire que dans les écoles des différentes
régions de ce pays, les mathématiques, les sciences, la physique,
l'histoire, la géographie seront enseignés en patois, idiomes
et langues régionales. On peut se demander ce que cela apportera à la
culture des gens. On peut aussi se demander ce que pourrait apporter de traduire
le code général des impôts, le code de la sécurité sociale,
le code civil et le code pénal en occitan, provençal ou basque
? Ça ne peut qu'enfermer les gens dans des spécificités.
C'est pourquoi nous sommes très inquiets de cette charte européenne
et nous appelons les auditeurs, quelque soit leur appartenance, leur sensibilité, à nous
rejoindre massivement le samedi 11 décembre à 16 heures place
de la Nation pour manifester jusqu'à la République. A la fin
de cette grande manifestation, où d'ores et déjà des milliers
de personnes se sont inscrites, il y aura un cours meeting de clôture
durant lequel nous redonnerons la parole à différentes associations
pour expliquer le sens de leur engagement, de leur soutient et de leur participation.
Encore une fois merci à l'Union des Athées, au Comité Laïcité République et
au Mouvement Europe et Laïcité d'avoir répondu à notre
appel.
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