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Allocution radio - France Culture Dimanche 10 novembre 1999

Dossier
Charte des Langues Régionales

Bonjour,

C'est Christian Eyschen, Secrétaire général de la Libre Pensée qui vous parle.
Notre sujet de cette matinée sera la manifestation du 11 décembre 1999, de la Nation à la République, contre la signature et la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.
Nous accueillons aujourd'hui avec plaisir, trois responsables d'associations qui se joignent à la Libre Pensée pour appeler à notre manifestation :
- Victoria Thérame, Vice-Présidente de l'Union des Athées
- Jacques Faure, Vice-Président d'Europe et Laïcité (anciennement CAEDEL)
- Claude Caudal, Vice-Président du Comité Laïcité République

Victoria, peux-tu nous dire pourquoi ton association appelle à cette manifestation ?

V. Thérame : L'Union des Athées s'associe aux autres organisations laïques pour la manifestation du 11 décembre sur les bases suivantes : les athées dénoncent les complaisances manifestées actuellement au profit des mythes d'origines, des traditions de toute sorte, plus ou moins archaïques ou folkloriques, potentiellement dangereuses, grosses de divisions et de guerres civiles artificielles. La Constitution de régions ou de départements ethniques, comme les deux Corses, ou la revendication d'un département basque au sein d'une Europe des régions ne ferait qu'actualiser la doctrine « Cujus region, ejus religio » qui date de plusieurs siècles, c'est-à-dire « à chacun sa religion selon sa région » en « à chacun sa culture selon sa région ». Les Eglises souhaitent ce charcutage qui leur rendrait du pouvoir sur le peuple de France ainsi parcellisé. A chacun son clocher, son parlé, son curé.
La publication dans le Journal Officiel des lois et règlements en plusieurs langues (13 ou 14 sur le territoire) nous semblerait une régression. Autrement dit, faudra-t-il parler 13 ou 14 langues ? C'est parce que les athées sont attachés à la liberté d'expression la plus large, qu'ils refusent la perspective de ghettos linguistiques et d'une mosaïque d'expressions. Devrons-nous parler auvergnat, provençal, basque, breton etc. et forcément anglais pour communiquer avec l'Europe en oubliant le français ? Que deviendraient les journaux nationaux, la radio, la télévision et la littérature française ? Imagine-t-on l'absurdité d'un enfant qui ne parlerait que provençal par exemple, ou alors provençal et anglais ? Adieu le français et pourquoi pas adieu la France au bout du compte ? Est-ce cela que souhaitent les partisans des langues régionales ? En France et dans le monde, le français a été la langue raisonnable qui a fait sauter la tenaille constituée d'un côté par le latin et l'arabe cléricaux et de l'autre par les dialectes désunis.
L'Union des Athées est attachée à l'unicité et l'indivisibilité de la République française, les athées proclament la nécessité d'échapper aux particularismes qui aliènent les esprits et à la culture des différences qui opposent les êtres humains.

C. Eyschen : Merci Victoria de cette précision et des raisons de l'Union des Athées pour rejoindre la Libre Pensée dans cette manifestation.
Jacques Faure, pourquoi le Mouvement Europe et Laïcité, anciennement appelé CAEDEL, s'associe à cette manifestation ?

J. Faure : Nous nous associons pour exprimer nos réticences sur cette charte et plus particulièrement sur un article qui contient une disposition qui nous semble dangereuse, permettant de fait la constitution de régions pluri-nationales à partir de l'usage d'une langue minoritaire. Nous ne récusons pas les cultures régionales, ni la valeur culturelle des langues régionales, celles-ci sont témoins d'un passé qu'il ne faut pas oublier, elles sont parties constituantes d'un héritage irremplaçable, mais notre langue nationale elle-même n'est elle pas un produit du passé, formé d'alluvions linguistiques de multiples origines, elle est elle-même une langue régionale et minoritaire à l'échelle du monde. Mais l'histoire en a fait, au dessus de tous les parlés, cette autre langue, celle qui a pu intégrer tous les « vouloir vivre ensemble » qui fondent les nations. Depuis des siècles cohabitent sur notre sol des langues, des patois, des idiomes, créoles, langues d'oc, langue d'oïl. Le français est la langue véhiculaire qui permit d'échapper au babélysme, générateur de confusion de langage, d'intelligence qui menaçait la nation nouvelle que réalisait la Révolution française.
L'unité des nations a certes d'autres ciments que la langue commune, mais l'usage d'une langue officielle nationale reconnue a d'indiscutables effets positifs de solidarisme, de cohésion sociale de compréhension. Donc nous craignons les fractionnements linguistiques, amorces de scissions ethniques : par exemple la Belgique.
Cette crainte, c'est la raison de « notre vigilance républicaine », afin de ne pas laisser bouleverser le « modus vivendi » basé sur la laïcité qui implique la tolérance mutuelle des individus, des nations, de peuples, laïcité qui assure la liberté d'être, l'épanouissement dans la paix, la liberté de conscience mais aussi la liberté d'expression, la liberté de communication. Alors nous disons que faire vivre ou revivre les langues régionales d'accord, mais que ne soit pas remis en cause l'enseignement du français qui seul peut former des citoyens

C. Eyschen : Merci Jacques.
Claude, nous avons déjà eu le plaisir de recevoir Patrick Kessel il y a quelques mois à cette émission, pourquoi le Comité Laïcité République s'associe depuis le début à la manifestation de la Libre Pensée contre cette charte européenne et quel danger y voyez-vous ?

C. Caudal : Le Comité Laïcité République en s'associant à cette manifestation se place dans la continuité de sa création. En effet, le CLR a été créé il y a une douzaine d'années, au moment où la laïcité semblait considérée par un certain nombre de penseurs, de forces politiques, syndicales, comme un peu dépassée. C'était l'enjeu de ce que l'on a appelé « laïcité ouverte » et nous avions à l'époque essayé de montrer que la laïcité n'est ni ouverte ni fermée. Elle est forcément ouverte et fraternelle par principe mais elle doit contenir une certaine rigueur et c'est pour défendre ces conceptions que le CLP s'est constitué.
Aujourd'hui, si l'on considère que la mission de la laïcité est le fondement de notre tissu social républicain, si l'on considère que son but est double, c'est-à-dire assurer la cohésion de la vie citoyenne dans l'espace public tout en respectant les libertés individuelles dans l'espace privé.
Au regard de cette conception, la charte la met en cause. Elle la met en cause par cette distinction, en introduisant dans l'espace public la notion de groupe, la reconnaissance du communautarisme, elle met donc en danger la conception de la République. Mais c'est aussi la mise en place de l'Europe, un pas nouveau sur la mise en place de l'Europe des régions et la suppression de l'Etat nation.
C'est aussi, en ce qui nous concerne, au delà de la reconnaissance des communautarismes, la menace de l'universalisme du service public. Déjà dans certaines régions on met en avant pour recruter, le fait de parler telle langue Pour telle aide publique on peut mettre en avant l'appartenance à telle ou telle communauté ethnique, linguistique ou religieuse. De ce point de vue, la ratification de cette charte met en cause cette conception de la laïcité qui nous vient de la Révolution française et cette notion très importante de distinction entre l'espace public et l'espace privé. L'espace privé est l'espace où se développe tous les particularismes, par contre l'espace public c'est le lieu où l'on travail pour le bien commun, où on ne reconnaît pas les groupes mais on ne reconnaît que les citoyens, et dans ce sens la ratification de la charte c'est la mise à bas d'une construction qui a mis plusieurs siècles à se mettre en place.

C. Eyschen : Merci Claude.
Je pense qu'il faut maintenant expliquer pourquoi la Libre Pensée a pris l'initiative de cette manifestation.

Nous avons contactés un certain nombre d'associations et des centaines de personnalités (nous en sommes aujourd'hui à 240 personnalités et associations qui appellent à cette manifestation) de toute nature, d'ordre philosophique, laïque, humaniste, rationaliste, syndicale voir politique, députés, sénateurs, maires, élus locaux qui se sont associé à cette manifestation parce que toutes ces personnes voient dans la charte un grand danger.
Bien évidemment il ne s'agit pas de contester l'existence, l'enseignement, la diffusion, la propagation et la préservation des langues régionales, des idiomes ou des patois Pour nous cela fait partie du patrimoine de l'humanité et doit être préservé et défendu. Le problème de la charte européenne, qui a été proposée en 1992 par le Conseil de l'Europe, c'est le rattachement de la diffusion et de l'enseignement des langues régionales et minoritaires à l'espace d'un territoire. C'est-à-dire que l'on pourra, si cette charte est ratifiée par le Parlement après avoir été signée le 7 mai par le gouvernement, apprendre le breton en Bretagne, mais nulle part ailleurs. Or la première ville où il y a le plus grand nombre de bretons, c'est Paris, mais là il n'est pas question d'enseigner, d'apprendre ou de cultiver le breton. On enferme les langues dans un territoire d'expression c'est-à-dire que l'on ressuscite les anciennes provinces. On s'aperçoit, à travers l'exemple tragique de l'ex-Yougoslavie, que lorsque l'on enferme les gens dans des territoires, dans des croyances, dans des communautés cela ne peut être que source de conflit.

Je siège actuellement, puisque la Libre Pensée vient d'adhérer à l'Union Internationale Humaniste et Laïque (IHEU), à la conférence générale de l'UNESCO, et j'ai entendu avec un peu d'étonnement le Directeur général sortant, Frédérico Mayor, dont tout le monde connaît les relations avec l'Eglise catholique, indiquer dans son discours d'introduction que « le moule des Etats-nations est aujourd'hui cassé , que le nouvel horizon de l'être humain c'est le cyber espace et conclure en disant que le monde à besoin des églises et des ONG".
Dans sa réponse qui complétait son rapport et le débat de politique générale sur cette question « Est-ce que le moule des états-nations est cassé ? », F. Mayor a indiqué que l'UNESCO avait recensé 685 langues parlées dans le monde et que son rôle, comme complément de l'ONU, était le développement de l'enseignement et la diffusion de ces langues.
Nous n'allons donc pas vers la compréhension commune des citoyens du monde, mais au contraire vers leur enferment communautaire et linguistique. Et F. Mayor a d'ailleurs bien précisé que « la mondialisation n'est pas l'abolition des différences mais la mise en oeuvre de leur interaction. Il ne faut surtout pas harmoniser ». On va enfermer les gens dans des communautés, des langues, pour mieux les diviser et pour que quelques uns, au niveau des super puissances, puissent « tirer les marrons du feu ».

C'est pourquoi nous ne pouvons pas accepter cette revendication du Conseil de l'Europe, ces politiques internationales menées par des grandes instances, qui visent non pas à unifier les peuples et les nations, mais au contraire à démanteler les Etats-nations, à créer des communautés sur la base de territoires, qui sont inévitablement sources de conflits.
En effet, ce n'est pas l'enseignement des langues régionales dont il est question dans la charte européenne, c'est l'enseignement en langue régionale. C'est-à-dire que dans les écoles des différentes régions de ce pays, les mathématiques, les sciences, la physique, l'histoire, la géographie seront enseignés en patois, idiomes et langues régionales. On peut se demander ce que cela apportera à la culture des gens. On peut aussi se demander ce que pourrait apporter de traduire le code général des impôts, le code de la sécurité sociale, le code civil et le code pénal en occitan, provençal ou basque ? Ça ne peut qu'enfermer les gens dans des spécificités.
C'est pourquoi nous sommes très inquiets de cette charte européenne et nous appelons les auditeurs, quelque soit leur appartenance, leur sensibilité, à nous rejoindre massivement le samedi 11 décembre à 16 heures place de la Nation pour manifester jusqu'à la République. A la fin de cette grande manifestation, où d'ores et déjà des milliers de personnes se sont inscrites, il y aura un cours meeting de clôture durant lequel nous redonnerons la parole à différentes associations pour expliquer le sens de leur engagement, de leur soutient et de leur participation.
Encore une fois merci à l'Union des Athées, au Comité Laïcité République et au Mouvement  Europe et Laïcité d'avoir répondu à notre appel.