Décision
N° 99412 DC du 15 juin 1999
Charte européenne des langues régionales
ou minoritaires
Le
Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 mai 1999, par
le Président de la République, sur le fondement de l'article
54 de la Constitution, de la question de savoir si la ratification de la Charte
européenne des langues régionales au minoritaires, signée à Budapest
le 7 mai 1999, doit être précédée, compte tenu de
la déclaration interprétative faite par la France et des engagements
qu'elle entend souscrire dans la partie 111 de cette convention, d'une révision
de la Constitution ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu l'ordonnance
n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant
loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 18, alinéa
2, 19 et 20 ;
Le rapporteur
ayant été entendu
;
- Sur le contenu
de l'engagement international soumis à l'examen du
Conseil constitutionnel et sur l'étendue du contrôle exercé :
Considérant que la Charte européenne des langues régionales
ou minoritaires soumise à l'examen du Conseil constitutionnel se compose,
outre un préambule, d'une partie I, intitulée : "dispositions
générales" ; d'une partie Il relative aux "objectifs et principes" que
chaque Etat contractant s'engage à appliquer; d'une partie III comportant
quatre-vingt-dix-huit mesures en faveur de l'emploi des langues régionales
ou minoritaires dans la vie publique, classées par domaine d'application,
au sein desquelles chaque Etat contractant est libre de faire un choix dans
les limites précisées à l'article 2 (§ 2) de la Charte,
les mesures ainsi retenues ne s'appliquant qu'aux langues indiquées
dans son instrument de ratification ; d'une partie IV contenant des dispositions
d'application ; d'une partie V fixant des dispositions finales ;
Considérant qu'en vertu de l'article 2 (§ 1) de la Charte, "chaque
Partie s'engage à appliquer les dispositions de la partie Il", comportant
le seul article 7, "à l'ensemble des langues régionales ou Minoritaires
pratiquées sur son territoire, qui répondent aux définitions
de l'article l" ; qu'il résulte de ces termes mêmes que la partie
Il a une portée normative propre et qu'elle s'applique non seulement
aux langues qui seront indiquées par la France au titre des engagements
de la partie III, mais à toutes les langues régionales ou minoritaires
pratiquées en France au sens de la Charte ;
Considérant que l'article 2 (§ 2) précité de la
Charte fait obligation à chaque Etat contractant de s'engager à appliquer
un minimum de trente-cinq paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions
de la partie III, dont au moins trois choisis dans les articles 8 : "enseignement" et
12 : "activités et équipements culturels", et un dans chacun
des articles 9 : "justice", 1 0 : "autorités administratives et services
publics", 11 : "médias" et 13: "vie économique et sociale" ;
que, lors de la signature de la Charte, la France a indiqué une liste
de trente-neuf alinéas ou paragraphes, sur les quatre-vingt-dix-huit
que comporte la partie III de cette convention, qu'elle s'engage à appliquer
et qui sera jointe à son instrument de ratification ; que onze d'entre
eux concernent l'enseignement, neuf les médias, huit les activités
et équipements culturels, cinq la vie économique et sociale,
trois les autorités administratives et services publics, deux les échanges
transfrontaliers et un la justice ; que le contrôle exercé par
le Conseil constitutionnel sur la partie III doit porter sur les seuls
engagements ainsi retenus ;
Considérant, par ailleurs, que le Gouvernement français a accompagné sa
signature d'une déclaration interprétative dans laquelle il précise
le sens et la portée qu'il entend donner à la Charte ou à certaines
de ses dispositions au regard de la Constitution;
qu'une telle déclaration unilatérale n'a d'autre force normative
que de constituer un instrument en rapport avec le traité et concourant,
en cas de litige, à son interprétation ; qu'il appartient donc
au Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 54 de la Constitution,
de procéder au contrôle de la constitutionnalité des engagements
souscrits par la France indépendamment de cette déclaration
;
- Sur les
normes de référence applicables
:
Considérant, d'une part, qu'ainsi que le proclame l'article 1er de
la Constitution : "La France est une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant
la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle
respecte toutes les croyances" ; que le principe d'unicité du peuple
français, dont aucune section ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale,
a également valeur constitutionnelle ;
Considérant que ces principes fondamentaux s'opposent à ce que
soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit,
défini par une communauté d'origine, de culture, de langue
ou de croyance;
Considérant, d'autre part, que la liberté proclamée par
l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789, aux termes duquel : "La libre communication des pensées et des
opinions est un des droits les plus précieux de l'homme: tout citoyen
peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre
de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par
la loi", doit être conciliée avec le premier alinéa de
l'article 2 de la Constitution selon lequel "La langue de la République
est le français".
Considérant qu'en vertu de ces dispositions, l'usage du français
s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans
l'exercice d'une mission de service public; que les particuliers ne peuvent
se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services
publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français,
ni être contraints à un tel usage : que l'article 2 de la Constitution
n'interdit pas l'ublisation de traductions ; que son application ne doit pas
conduire à méconnaître l'importance que revêt, en
matière d'enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle,
la liberté d'expression et de communication ;
- Sur la conformité de la Charte à la
Constitution :
Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de son
préambule, la Charte reconnaît à chaque personne "un droit
imprescriptible" de " pratiquer une langue régionale ou minoritaire
dans la vie privée et publique"; qu'aux termes de l'article 1 (a) de
la partie I : "par l'expression « langues régionales ou
minoritaires », on entend les langues : i) pratiquées traditionnellement
sur un territoire d'un Etat par des ressortissants de cet Etat qui constituent
un groupe numériquement inférieur au reste de la population de
l'Etat ; et ii) différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet
Etat ", exception faite des dialectes de la langue officielle et des langues
des migrants , que, par " territoire dans lequel une langue régionale
ou minoritaire est pratiquée", il convient d'entendre, aux termes de
l'article 1 (b) " l'aire géographique dans laquelle cette langue est
le mode d'expression d'un nombre de personnes justifiant l'adoption des différentes
mesures de protection et de promotion" prévues par la Charte ; qu'en
vertu de l'article 7 (§ 1) : "les Parties fondent leur politique, leur
législation et leur pratique sur les objectifs et principes" que cet
article énumère , qu'au nombre de ces objectifs et principes
figurent notamment "le respect de l'aire géographique de chaque langue
régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives
existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la
promotion de cette langue......", ainsi que "la facilitation et/ou l'encouragement
de l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires
dans la vie publique et dans la vie privée" ; que, de surcroît,
en application de l'article 7 (§ 4), "les Parties s'engagent à prendre
en considération les besoins et les voeux exprimés par les groupes
pratiquant ces langues" en créant, si nécessaire, des "organes
chargés de conseiller les autorités" sur ces questions
;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions combinées
que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires,
en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des "groupes" de
locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur
de "territoires" dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte
aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République,
d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français
;
Considérant que ces dispositions sont également contraires au
premier alinéa de l'article 2 de la Constitution en ce qu'elles tendent à reconnaître
un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement
dans la "vie privée" mais également dans la '"vie publique", à laquelle
la Charte rattache la justice et les autorités administratives
et services publics ;
Considérant que, dans ces conditions, les dispositions précitées
de la Charte sont contraires à la Constitution ;
Considérant que n'est contraire à la Constitution, eu égard à leur
nature, aucun des autres engagements souscrits par la France, dont la plupart,
au demeurant, se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises
en oeuvre par la France en faveur des langues régionales
Décide
:
Article
premier - La Charte européenne des langues régionales
ou minoritaires comporte des clauses contraires à la Constitution.
Article
2 - La présente décision sera notifiée au
Président de la République et publiée au Journal officiel
de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance
du 15 juin 1999, présidée par M. Yves GUÉNA et où siégeaient
: MM. Georges ABADIE, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Alain LANCELOT,
Mme Noëlle LENOIR, M. Pierre MAZEAUD et Mme Simone VEIL.
Dépêche
de l'agence Reuters - mercredi 23 juin 1999, 2Oh28
SYNTHESE
-Régions/Langues - La France ne ratifiera pas la charte
PARIS, 23 juin -
Jacques Chirac a refusé mercredi d'envisager
la révision de la constitution que
lui demandait Lionel Jospin, pour permettre à la France de ratifier
la Charte européenne sur les langues régionales et minoritaires.
Ce qui paraît à première vue comme un accroc entre le président
de la République et le Premier ministre. pourrait bien, cependant, arranger
les deux dirigeants, tant majorité et opposition semblaient divisées
sur l'opportunité d'une telle révision constitutionnelle
et de la ratification de la charte.
Matignon n'a d'ailleurs fait aucun commentaire dans l'immédiat, après
l'annonce de la décision du chef de l'Etat.
Dans l'entourage de Jacques Chirac, on affirme que le président "comprend
les raisons du Premier ministre", qui lui a demandé mercredi matin,
avant le conseil des ministres de prendre l'initiative d'une révision
constitutionnelle, et "il est persuadé que le Premier ministre comprend
les siennes". "C'est ce qu'ils se sont dits ce matin", ajoute-t-on.
Le ministre délégué aux Affaires européennes, Pierre
Moscovici, avait pourtant signé le 7 mai dernier la charte européenne,
avec l'aval de Jacques Chirac.
Le 20 mai, le chef de l'Etat avait cependant saisi le Conseil constitutionnel
pour qu'il tranche la
question de la compatibilité de ce document avec la constitution, question
qui divisait les spécialistes de droit constitutionnel.
Le Conseil a estimé que la charte comportait des clauses contraires à la
constitution. Mais c'est la première fois, selon les spécialistes,
qu'un de ses avis aboutit au blocage définitif de la ratification
d'un texte international par la France.
Selon un communiqué de l'Elysée, Jacques Chirac estime, en s'appuyant
sur l'avis du Conseil que "la Charte européenne des langues régionales
ou minoritaires" va "très au delà" du soutien et de la reconnaissance
des langues régionales.
"Dans ces conditions, le président de la République ne souhaite
pas prendre l'initiative d'une révision constitutionnelle qui porterait
atteinte aux principes fondamentaux de notre République" lit-on dans ce
communiqué diffusé en fin d'après-midi.
Le chef de l'Etat estime néanmoins que les langues régionales
contribuent à la "richesse culturelle" du pays et doivent à ce
titre "être reconnues et soutenues", "sans qu'il soit nécessaire
de modifier (la) constitution et sans remettre en cause l'unité de la
Nation".
- Baroud d'honneur
Il fait ainsi savoir qu'il
souhaite "que l'on développe (...) sur une
base volontaire", l'enseignement, la connaissance et la pratique de ces langues.
En annonçant lors des questions d'actualité à l'Assemblée,
qu'il avait demandé au chef de l'Etat de prendre l'initiative d'une révision
de la Constitution, Lionel Jospin n'ignorait pas que la réponse de Jacques
Chirac serait négative. Mais il s'est livré néanmoins à un
baroud d'honneur.
"Ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires,
ce n'est ni remettre en cause la République, ni porter atteinte à l'unité nationale,
ni même affaiblir la langue française qui est la langue de la République",
a-t-il dit.
Le matin, à l'issue du Conseil des ministres, le ministre de l'intérieur,
Jean-Pierre Chevènement, avait pour sa part estimé que vouloir
donner un statut aux langues régionales reviendrait à "balkaniser
la France" et jugé possible de les favoriser "sans réformer la
Constitution".
En refusant effectivement de réviser la constitution, Jacques Chirac s'expose
quant à lui à être pris pour cible par les défenseurs
des langues régionales, mais son geste sera sans doute salué par
les "souverainistes". De fait les positions, sur ce dossier, dépassent
les clivages traditionnels entre la gauche et la droite.
Le premier secrétaire du PS, François Hollande, et le Vert Guy
Hascoët se déclaraient mercredi après-midi à l'Assemblée,
favorables à la révision constitutionnelles.
En revanche, le communiste Jacques Brunhes estimait que le Conseil constitutionnel
avait "eu raison" de censurer la charte, comme le "chevènementiste" Georges
Sarre.
"Je suis pour que l'on mène des actions afin de maintenir le patrimoine
mais je ne suis pas pour le "détricotage" de la République", avait
dit le président délégué du Mouvement des citoyens
avant d'ajouter : "Nous rechercherons toutes les alliances pour que cette réforme
ne puisse pas voir le jour."
Un point de vue partagé par Jacques Myard, RPR proche du RPF de Charles
Pasqua, tandis que Patrick Devedjian, autre député RPR, souhaitait "un
vrai débat", tout en formulant quelques interrogations sur l'application
de la charte.
Claude Goasguen, secrétaire national de Démocratie libérale. était
en revanche tout à fait favorable à une modification de la Constitution. "J'approuve
la déclaration du Premier ministre et je souhaite que le président
de la République modifie la Constitution", affirmait le député de
Paris.
/EJ/MBA/EPI
REUTERS
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AFP - vendredi 25 juin 1999
Langues
- régions
Baisse
du nombre de locuteurs des principales langues régionales en France
Paris, 25 juin. - Les
chiffres avancés par les spécialistes
qui travaillent sur le dossier des langues régionales ou minoritaires
montrent l'érosion de ces pratiques linguistiques par rapport au début
du siècle. Ces experts soulignent, d'autre part, la difficulté à établir,
région par région, le nombre de locuteurs en s'interrogeant sur
la signification de ce mot : à partir de que "degré de compétence" est-on
un "locuteur" ? Quel rapport existe-t-il entre une personne qui comprend une
langue sans presque jamais l'utiliser et une autre qui la maîtrise
parfaitement et la parle tous les jours ?
Selon des enquêtes officielles, recoupées par des données
démographiques, auxquelles l'AFP a eu accès, on peut toutefois
avancer ces chiffres :
- Alsacien : environ
900 000 locuteurs sur 1,7 million d'habitants. En 1945, ce chiffre était largement supérieur.
- Breton : entre 200
000 et 300
000 locuteurs sur 1,5 million d'habitants, dans la zone dite "bretonnante",
(Finistère, une partie des
Côtes d'Armor et du Morbihan) contre 1,2 million au début du
siècle.
- Occitan : 2 millions de locuteurs, sur 13-14 millions d'habitants, contre
10 millions en 1920.
- Basque : 40 000 locuteurs
sur 260 000 habitants. Près de 100% de
la population parlait la langue au début du siècle
- Corse : Entre 100 000 et 150 000 locuteurs sur 250 000 habitants.
Près de 100% de la population parlait corse au début du siècle.
- Catalan : 34% de la
population des Pyrénées Orientales (370
000 habitants) ont déclaré le parler, dans une enquête
récente. Parmi ces 34%, 17% ont déclaré le parler "bien".
Le refus du président Jacques Chirac de modifier la Constitution en vue
de la ratification de la Charte européenne des langues régionales
et minoritaires provoque un concert de protestations des partis politiques et
des associations linguistiques.
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Un
article du Canard Enchaîné du 29 septembre 1999 :
Langue (presque) obligatoire
Claude Allègre l'avait dit, Lionel Jospin l'a répété lors
de son récent déplacement à Ajaccio : il n'est pas question
pour faire plaisir aux groupes nationalistes de rendre obligatoire l'étude
de la langue corse. Voilà pour la théorie.
En pratique, les directeurs de collège de l'Île ont reçu
du recteur, juste avant la rentrée scolaire, une circulaire tout ce qu'il
y a de nuancé à propos de la langue insulaire. Il y est écrit
notamment que "les familles qui demandent que leur enfant ne suive pas ces
cours (de Corse) doivent l(indiquer explicitement (...). Il pourra être
utile d'avoir une discussion avec elles, et de comprendre ce qui motive leur
refus".
Autrement dit, la langue corse n'est pas obligatoire, mais ceux qui refusent
de l'apprendre ont toutes les chances de se faire remarquer. Pour peu que ces
réfractaires soient des "allogènes", attention aux dégâts
!
Précision : aucun enseignement de langue vivante facultative ne pourra être
proposé à la place du corse.
Des fois que des petits Maghrébins poussent la provocation jusqu'à vouloir
suivre des cours d'arabe...
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