Amis, Citoyens, Camarades,
La Fédération nationale de la Libre Pensée
se réjouit du succès de ce rassemblement laïque
européen qui est inédit à cette échelle.
Nous tenons à remercier tous ceux qui sont venus des quatre
horizons de l’Europe et aussi tous ceux viennent des différents
points de notre hexagone et qui ont voyagé des heures pour
marquer leur volonté de travailler en commun pour le triomphe
de la laïcité en Europe.
31 associations de 13 pays apportent leur concours
aujourd’hui pour empêcher que la roue de l’Histoire
tourne à l’envers. Nous ne parlons pas tous la même
langue. Nous n’avons pas tous la même histoire. Nos
actions peuvent être différentes, selon que l’on
soit libre penseur, humaniste, rationaliste ou simplement laïque.
Mais tous, nous voulons le triomphe absolu de la
liberté de conscience. Tous, nous voulons que l’homme
soit enfin libre dans des sociétés débarrassées
de l’obscurantisme et des oppressions. Tous, nous refusons
que les êtres humains continuent de plier sous le fardeau
des cléricalismes et des fanatismes religieux.
Notre combat commun s’appelle émancipation
humaine, notre outil est partout la séparation des Eglises
et des Etats, notre but est la liberté de conscience garantie
par la laïcité.
Ce que nous revendiquons dans notre pays, dans
tous les pays et sur tous les continents : c’est la marche
en avant de l’Humanité vers la pleine lumière
de la liberté commune. Ce nous voulons, c’est que les
peuples brisent à tout jamais leurs chaînes, toutes
leurs chaînes, religieuses, économiques, politiques
et ethniques.
La National Secular Society d’Angleterre
et la Libre Pensée française, qui sont les organisations
historiques constitutives de l’Internationale de la Libre
Pensée, ont pris l’initiative de lancer un appel à
tous les partisans de la laïcité en Europe pour qu’ensemble
nous nous opposions au projet néfaste et réactionnaire
de l’Article 51 de la Constitution européenne.
Cet appel a été entendu dans toute
l’Europe et même au-delà. Dans le nouveau Monde,
de l’autre côté de l’Atlantique, nous avons
reçu le soutien de notre ami libre penseur Fred Whitehead
du Kansas, des associations des athées et aussi celui, qui
nous est particulièrement cher, du Mouvement Laïque
Québécois.
Nous ne sommes pas seuls. Dans le monde entier,
on nous regarde et on attend de nous que nous soyons dignes de nos
ancêtre qui, de la civilisation gréco-latine à
la Renaissance et les Lumières, de la Révolution française
à la révolution européenne de 1848 et de la
Commune de Paris, de la fondation de l’Ecole laïque républicaine
à la grande de loi de séparation de 1905 ; ont fait
triompher la liberté de conscience.
Il ne faut pas reculer en Europe, car tous nos
acquis dans nos pays respectifs sont autant de point d’appui
pour les peuples en marche pour leur liberté sur tous les
continents. Défendre la laïcité partout où
elle existe, la conquérir partout où elle manque,
tel est notre combat commun que nous menons avec le concours précieux
de l’Union Internationale Humaniste et Laïque. L’Internationale
de la laïcité existe, nous l’avons rencontré,
elle s’appelle IHEU.
La séparation des Eglises et de l’Etat
est une des conditions nécessaires pour instaurer une véritable
concorde entre tous, dans chaque peuple et entre chaque peuple.
Pour nous, le centre du problème n'est pas de se limiter
à ce que les laïques, les Humanistes, les Athées
et les Libres Penseurs aient les mêmes droits que les croyants
et que nos associations aient les mêmes privilèges
que les Eglises. Il faut frapper au cœur du cléricalisme
et réclamer la totale séparation des Eglises et des
Etats. Nous ne revendiquons pas que les partisans de la séparation
soient une communauté à côté de celles
des Eglises et des religions.
Nous voulons la séparation totale des Eglises
et des Etats qui, seule, garantie des droits égaux pour tous.
Nous refusons l'apartheid philosophique avec un "développement
séparé" pour nous et les croyants. Nous combattons
pour l'égalité absolue qui impose la laïcité
de l'Ecole publique et de l'Etat. Que nous importe de toucher des
subsides publics comme les Eglises, nous voulons la liberté
totale garantie par la neutralité métaphysique des
Etats.
C’est pourquoi, nous nous opposons fermement
non seulement à l’article 51 de la future constitution
européenne, mais aussi à d’autres points et
surtout sur son mode de fonctionnement qui est « intrinsèquement
pervers » pour reprendre une formule papiste.
Bien entendu, ce que je vais exprimer est le point
de vue de la Libre Pensée française. L’accord
commun qui fonde ce rassemblement européen est le refus de
l’article 51 mais chaque association présente est libre
d’exprimer ses positions en la matière. Nous sommes
tous partisans du libre examen et du libre débat. Et bien,
examinons et débattons librement entre nous. C’est
toujours de la discussion que naît la clarté.
Cela a été dit à plusieurs
reprises, l’article 51 ne vise qu’à perpétuer
ad vitam eternam les privilèges des Eglises et des religions.
Rappelons quelques évidences, un traité constitutionnel,
ce n’est pas un roman qui raconte une belle histoire. C’est
un texte juridique qui lie les parties en présence.
Quand l’article 51 dit « L’Union
européenne respectera » les différentes formes
de relations entre les Eglises et les Etats, cela veut dire qu’elle
les protégera en les intégrant dans le droit communautaire
qui est supérieur aux différentes législations
nationales. A partir du moment où la ratification de cette
constitution sera terminée, toutes les formes de relation
entre les religions et les Etats, c’est-à-dire les
concordats, les Eglises officielles et les religions d’Etat,
le statut clérical d’Alsace-Moselle, les impôts
d’Eglise, les délits de blasphème seront tous
intégrées es qualité dans le droit communautaire.
Quand un peuple voudra désormais abroger
un concordat qu’il soit bonapartiste, hitlérien, franquiste,
mussolinien ou salazariste ; pour pouvoir le faire en conformité
avec le droit européen, il lui faudra avoir l’accord
des 25 pays comme pour modifier la constitution européenne.
Autant dire que ce n’est pas demain la veille.
C’est ce qui explique que le Vatican est
dans une course de vitesse dans toute l’Europe pour faire
avaliser les concordats avant la ratification finale de la constitution
européenne. Le résultat est là : sur les 25
pays membres ou futurs membres de l’Union européenne,
14 ont un concordat avec le Vatican. Et la plupart des autres ont
des religions officielles !
C’est ce qui explique aussi la guerre religieuse
qui se déroule à l’Est de l’Europe. Les
Eglises établies refusent de voir arriver des religions concurrentes.
Elles veulent bénéficier de manière exclusive
des prébendes garanties par l’article 51 sans avoir
à les partager avec d’autres.
Et c’est en toute logique, qu’une fois
préservées à tout jamais les relations institutionnelles
des Eglises et des Etats, le troisième paragraphe fait des
Eglises et des organisations religieuses les « partenaires
officielles » de l’Union européenne.
La constitution européenne remet donc en
cause de manière fondamentale le droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes en liant les générations
futures aux décisions de celles d’hier. C’est
l’ordre divin imposé à tous, pour tous et pour
toujours.
D’autre part, le préambule de la constitution,
dans sa forme actuelle, met sur le même plan, l’apport
des Lumières et de l’Humanisme et le fardeau des obscurantismes
religieux. Répétons-le avec force, un texte constitutionnel
n’a pas pour but d’être un livre d’histoire
ni de raconter des histoires. Il ne parle pas du passé, il
est censé forger l’avenir. En faisant de l’héritage
religieux un article législatif dans un texte chargé
de définir un fonctionnement d’institutions, il indique
juridiquement et politiquement que les religions sont l’horizon
indépassable des peuples en Europe.
Le message est désormais clair : l’Europe
a été religieuse hier, elle doit le rester demain.
C’est bien l’Europe des églises, des temples,
des synagogues et des mosquées que l’on nous prépare
à Bruxelles et que l’on voudrait voir signée
à Rome et bénie par le Vatican. C’est l’interdiction
signifiée aux peuples en Europe de sortir de la préhistoire
cléricale et religieuse. C’est bien le droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes qui est foulé aux
pieds par l’Europe vaticane, cléricale et religieuse.
Je voudrais terminer par ce qui nous semble être
le principal problème dans cette constitution. L’Union
européenne a pour unique mode de fonctionnement le principe
catholique de subsidiarité. D’où vient-il et
où va-t-il ?
Ce terme, qui n’est pas dans le dictionnaire
mais dans le droit canon, a été employé pour
la première fois dans une encyclique qui s’appelle
« Quadragesimo anno », formulée en 1931 pour
le 40ème anniversaire de la 1ère encyclique sociale
de Léon XIII qui s’appelait « Rerum Novarum »,.
L’encyclique « Quadragesimo anno »
de Pie XI avait pour but de tirer le bilan précis de 40 années
de doctrine sociale de l’Eglise. Elle a rendu un hommage public
à l’organisation fasciste italienne et aux syndicats
fasciste italiens. La première fois que le mot de subsidiarité
a été employé, c’est donc en hommage
au fascisme.
Ce principe a été défini par
son auteur de la manière suivante « Que l’autorité
publique abandonne donc aux groupements de rangs inférieurs
le soin des affaires de moindre importance où se disperserait
à l’excès son effort. Elle pourra dès
lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement
les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle parce
qu’elle seule peut les remplir. Ces fonctions sont : diriger,
surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportement et les
circonstances ou la nécessité l’exigerons ».
On a traduit le principe de subsidiarité
par cette formule populaire « Ne jamais confier à un
organisme de rang supérieur ce qui peut être fait par
un organisme de rang inférieur ». A l’évidence,
cela pourrait sembler logique mais si l’on examine l’histoire,
la société qui a réalisé le plus complètement
possible le principe de subsidiarité, c’est la France
d’Ancien Régime.
Sous l’Ancien Régime les pouvoirs
de l’Etat c’étaient : la police, l’armée,
la justice, les tribunaux, c’est-à-dire l’appareil
de répression et la diplomatie. Tous ce qui caractérise
une société moderne : l’école, la santé,
le prélèvement de l’impôt, tous ces éléments
fondamentaux ont été confiés à des organismes
de rangs inférieurs.
Pour la plupart d’entre eux, c’était
bien évidemment l’Eglise qui s’occupait de la
charité, de la bienfaisance, d’un semblant d’éducation
et d’un semblant de santé. La récolte de l’impôt
était confiée aux fermiers généraux
(qui se servaient largement au passage), c’est-à-dire
que tous ce qui caractérisait le fonctionnement d’une
société moderne était confié à
des organismes de rang inférieur.
Nous constatons aujourd’hui que lorsque l’on privatise
les services des eaux, les pompes funèbres, les services
de cantine scolaire, quand on réclame le prélèvement
de l’impôt par l’employeur directement sur le
salaire, on en revient à la France d’Ancien Régime
c’est-à-dire que l’on confie à des organismes
de rangs inférieurs ce qui appartient à l’Etat,
à la République et aux collectivités territoriales.
La Révolution Française, en 1789,
a brisé l’Ancien Régime et le principe de subsidiarité,
qui n’existait pas encore formellement, mais existait quand
même dans la pratique. Elle a institué une société
dans laquelle on a toujours confié, pour assurer l’égalité
des citoyens devant la loi, à des organismes de rangs supérieurs
les missions d’une société moderne et démocratique.
Ce qui caractérise la Révolution
Française, la République, c’est que pour assurer
l’égalité des citoyens devant la loi, on a créé
la notion de service public. Ce qui caractérise l’Ancien
Régime et le principe de subsidiarité, c’est
que pour briser l’égalité des citoyens devant
la loi, pour donner et confier à des organismes de rangs
inférieurs, on privatise et on détruit le service
public.
Comme le droit communautaire est supérieur
aux législations nationales, alors il faut les changer pour
leur fait intégrer la subsidiarité. C’est ce
qui a été fait en France, le 17 mars 2003 par une
honteuse révision constitutionnelle. Cette « réforme
» tend à briser tout l’héritage de la
grande Révolution française. En détruisant
l’unité et l’indivisibilité des services
publics, ils remettent en cause l’égalité des
citoyens devant la loi.
Pour la Libre Pensée française, une
constitution qui fonctionne sur la base du principe de subsidiarité
ne peut pas être une constitution démocratique et laïque.
C’est pour toutes ces raisons que nous disons
NON à la constitution européenne !
Vous avez pris connaissance du communiqué,
en français et en anglais, de la Libre Pensée qui
se termine ainsi : « Au-delà des réalités
propres à chaque pays, tant du point de leur histoire respective
que de leur législation nationale et des modalités
particulières d’action de chaque association laïque,
la Fédération française de la Libre Pensée
pense que le moment est venu d’intensifier nos actions coordonnées
et soumet ainsi, à toutes les associations qui ont soutenu
et participé au rassemblement du 6 décembre à
Paris et plus généralement à toutes les organisations
laïques en Europe, la proposition d’envisager la tenue
d’une grande manifestation laïque européenne à
Bruxelles « Pour la laïcité en Europe »
pour s’opposer, à une échelle plus grande encore,
à l’Europe vaticane, cléricale et religieuse
incarnée par ce projet de constitution européenne
; manifestation dont les formes et les objectifs devront être
déterminés avec l’ensemble des associations
laïques en Europe qui partagent cette volonté de voir
triompher la séparation des Eglises et des Etats ».
N’est-il pas opportun et judicieux d’en
débattre tous ensemble pour continuer l’action commune
commencée aujourd’hui ?
Et puis que l’on est en France, permettez-moi
de terminer en disant, comme toujours :
Ni dieu, ni maître !
A bas la Calotte !
Et vive la Sociale !
Je vous remercie.
Christian Eyschen
Secrétaire général de la Libre Pensée
française